Après la controverse de Ratisbonne, je me suis demandé quelle était la position des témoins chrétiens de l' expansion de l' islam ? Comment ont-ils vécu, pour ceux qui ont pu survivre, la dévastation de leur monde ?
Saint Jean Damascène ( 675-749, mémoire le 4 décembre, fête le 27 mars dans l' ancien calendrier ) me semble avoir une position plus tranchée que celle de Manuel II Paléologue ( XIVème siècle ) que Benoît XVI a évoquée.
cf lien : http://ut-pupillam-oculi.over-blog.com/article-4776022.html
La Syrie était tombée aux mains d' Omar, successeur de Mahomet en 636 soit une trentaine d' années avant la naissance de Jean. L' empire byzantin ruiné par la guerre de cent ans contre les Perses dont il était sorti vainqueur n'avait pu voler au secours de sa province syrienne.
De culture grecque la famille de Jean Damascène, arabe, avait préféré collaborer avec le nouveau pouvoir. Son grand-père haut fonctionnaire de l' administration byzantine était devenu naturellement responsable de l' administration fiscale des nouveaux maîtres musulmans. Le père de Jean, Serge Mansour, avait continué la tradition familiale. Et Jean, quant à lui, fut chargé de récolter l' impôt des chrétiens. Devenu DHIMMIS les chrétiens, comme les juifs, selon la négociation de Saint Sophrone à la prise de Jérusalem, pouvaient garder leur vie et leurs biens moyennant le paiement d' un tribut en signe de soumission. Mais en 723 le calife Yazid islamisa son administration, interdit le culte des images, augmenta l' impôt des non-musulmans, ce qui provoqua l' apostasie de nombreux chrétiens et leur islamisation. Jean ( cf mon article du 4 décembre 2006 ) se retira alors au monastère de Saint-Sabas, près de Bethléem, où il mourut.
Monastère de Saint-Sabas au bord du Cédron
cf lien : www.atlastours.net/holyland/mar_saba_monastery.html
Quelle était la situation religieuse des chrétiens syriens au moment de l' invasion ?
Ils étaient divisés. Divisé contre lui-même un organisme trouve toujours un ennemi extérieur pour se soumettre à un nouvel ordre. Ces groupes se détestaient.
Le groupe auquel appartenait Saint Jean Damascène était celui de l' Eglise melkite qui dans la continuité de l' Eglise byzantine confessait l' orthodoxie définie au Concile de Chalcédoine. Sa liturgie était en langue grecque, mais pour les populations paysannes certaines communautés locales avaient une liturgie en araméen.
Le deuxième groupe sévèrement réprimé par Constantinople était celui de l' Eglise jacobite. Née à Alexandrie elle s' opposait au Concile de Chalcédoine (451 ) et était accusée de monophysisme. Elle dominait chez les Arabes du nord de la Syrie ( et de l' Irak actuel ). Opprimée par les melkites et le pouvoir byzantin elle ouvrit avec enthousiasme les bras aux nouveaux envahisseurs, avant de rabattre de ses espérances.
Le troisième groupe, celui de l' Eglise nestorienne dont le centre était à Antioche, capitale de la Syrie avant que les Omeyyades ne choisissent Damas et troisième ville de l' ancien empire romain après Rome et Alexandrie se répartissait en Perse, au sud de l' Irak actuel et vers le centre de l' Arabie.
Il est évident que les massacres commis par les envahiseurs pendant leur conquête obligèrent ces Eglises au repli sur soi.
A l' époque, on appelait les islamistes les ISMAELITES. On ne voyait en eux qu' une dissidence vaguement chrétienne. On dirait une religiosité nouvelle aujourd' hui, puisqu' elle s' inspirait de sources talmudiques, zoroastriennes et bibliques. Les nouveaux conquérants ont toujours joué de l' ambiguïté de la notion de religions du livre, concept qui n' est qu' une façon d' imposer leurs propres vues aux esprits faibles.
Saint Jean Damascène se prit donc à réagir. Le réveil de ce membre d' une famille de collaborateurs fut rude !
Il écrivit un traité ( Des hérésies, De haeresibus ) contre les hérésies nestoriennes, monophysites, etc....Mais il y ajouta un chapitre contre l' hérésie numéro cent. C'est-à-dire l' islam considéré de l' intérieur, la religion des ismaélites ou des sarracènes ( sarrazins : du fait qu' Ismaël a été renvoyé sans rien par Sarah ).
Or que ne craint-il pas de dire ?
Mahomet : " un faux prophète " qui annonce l' Antéchrist.
Mahomet ment lorsqu' il dit que Jésus n' est pas mort sur la croix, et qu' une ombre ( ! ) l' a remplacé*.
La révélation de Mahomet s' est faite sans témoin :
" Pendant qu' il s' était endormi [ le Coran ] est descendu sur lui. Il n' avait pas conscience de ce qui se passait (...). Puisque vous n' avez pas l' autorisation de vous marier sans témoins ni d' acheter quoi que ce soit ni d'acquérir aucune propriété ( ... ) qu' en présence de témoins et c'est donc uniquement votre foi et vos écrits saints que vous acceptez sans témoins ? ".
Finalement devant la mauvaise foi et l' ignorance de Mahomet décrivant la révélation chrétienne, Jean préfère renoncer à relever les erreurs.
Il s' attache alors dans un petit livre de controverse à l' usage des chrétiens soumis à la pression des musulmans à leur répondre à travers deux questions :
1° ) le libre arbitre :
Puisqu' il y a une prédestination absolue dans le Coran, l' homme n' est responsable de rien devant la justice divine. Il n' est coupable de rien, ne peut jamais être puni...Bref il ne peut y avoir aucune justice, et ni bon ni mauvais.
2° ) le Christ :
Les musulmans le considèrent comme l' un des prophètes et lui concèdent d' être l' Esprit et le Verbe de Dieu, selon ce que Mahomet avait entendu dire de lui par les commerçants ariens d' Arabie.
Si le Verbe est créé, Dieu, avant sa création, était-il sans Esprit et sans Verbe ?
Si le Verbe est incréé ( nous disons engendré ), alors le Verbe=le Christ est Dieu.
Le musulman est incapable de répondre à cet argument. La parade c' est de dire que le Verbe de Dieu est un livre incréé, c'est-à-dire le Coran...Le musulman ne peut pas comprendre le mystère de la révélation et de l' inspiration divines.
Ainsi ( comme le souligne Alain Besançon dans son livre " Trois tentations dans l' Eglise " éd Perrin 2002 ) Saint Jean Damascène se contente d' affirmer le dogme chrétien. Il connaissait bien le prix qu' il lui en coûtait et n' a pas eu peur d' affirmer la différence de conceptions.
Il ne juge pas l' islam comme une religion inférieure. Il dit simplement que ses conceptions ne sont pas vraies. La vérité chrétienne est inaccessible et d' ailleurs reniée par le Coran.
Il s' agit de vivre en bonne entente humaine avec les ismaélites, sa famille n' avait-elle pas collaboré ? Mais le dialogue sur la vérité est pour Saint Jean Damascène indivisible.
Les faits prouveront par la suite que la vie dédiée à Dieu dans un monastère pour lui était finalement la réponse à toute compromission, toute tentative de dialogue. Il avait compris que l' islam ne souffrait aucune opposition.
En conclusion, après les remous dus aux menaces des musulmans après le discours de Ratisbonne, le pape a fait dire par son secrétaire d' Etat, le cardinal Bertone, qu' il fallait " renforcer le témoignage en Dieu vivant et subsistant, créateur du ciel et de la terre qui a parlé aux hommes "...Termes repris du troisième chapitre de la déclaration Nostra Aetate du Concile exhortant les musulmans " à oublier le passé "...Oublier le passé ? Cette déclaration du Concile a subitement pris un coup de vieux ! Mais il faudra bien trouver des manières de vivre ensemble...Quelles seront-elles?
Lien : http://home.scarlet.be/amdg/sankt/jean-damascene.html
* Vague réminiscence du docétisme...